Si oui, peut-on identifier des particularités qui caractérisent ces élèves décrocheurs ?
Cette étude prend place dans une composante de recherche-action associée au plan de riposte déployé par l’Etat sénégalais et financé par le Partenariat Mondial pour l’Education (Global Partnership for Education). Cette recherche-action est coordonnée par l’Institut Education, Famille, Santé, Genre (IEFSG) de l’Université Assane Seck de Ziguinchor (UASZ).
C’est dans le cadre d’un partenariat entre l’Institut de Recherche pour le Développement (IRD) et l’IESFG qu’il a été prévu de tirer parti des trois observatoires de population en place au Sénégal : à Bandafassi dans le Sénégal oriental, à Mlomp en Casamance et à Niakhar dans le Sine. Ces sites d’observation en population, santé, environnement offrent une connaissance interdisciplinaire sur le temps long de l’évolution démographique, économique, sociale et sanitaire et permettent l’organisation de collectes de données complémentaires.
Ainsi, grâce à ce projet nous avons pu mettre en place ou consolider les suivis scolaires dans les dispositifs des observatoires et organiser des enquêtes plus approfondies, notamment dans l’observatoire de Niakhar sur les conséquences de la crise covid sur la scolarisation des enfants.
Les différents travaux font l’objet de rapports particuliers qui sont disponibles sur internet. Deux rapports sur l’offre scolaire ont été produits, l’un à Niakhar (Toulao et Delaunay, 2021), l’autre à Mlomp (Bayo, 2021). L’étude a aussi permis de recueillir des éléments auprès des enseignants (à Niakhar et à Bandafassi) et de l’inspection académique et des inspections de l’éducation et de la formation (à Niakhar). Une étude qualitative a aussi été menée à Niakhar afin de mieux comprendre le point de vue des familles face à la crise Covid (Ndiaye, 2021).
Ces différents rapports sont largement utilisés dans la présente synthèse et sont téléchargeables sur : https://lped.info/wikiObsSN/?ScolaCovid.
Les données et les observations menées dans les observatoires montrent que la scolarisation publique s’est déployée dans les années 2000 dans les trois zones du Sénégal. L’offre privée catholique y était antérieure et a joué un rôle plus important sur le site de Mlomp en Casamance.
Au moment de la fermeture des écoles suite à la première vague de Covid19, la plupart des familles avaient des enfants scolarisés en primaire ou secondaire et ont été concernées par cette fermeture.
Le suivi scolaire de Mlomp, qui fournit des données très précises sur plusieurs années, a permis de montrer que la fermeture des écoles n’a pas été suivi ni de redoublement plus nombreux, ni d’abandons scolaires.
Les observations dans les écoles à Niakhar et Bandafassi mettent en évidence les mesures prises par les écoles pour assurer des révisions au moment de la reprise, et des cours de renforcement proposés aux élèves de tous niveaux. Ces dispositions sont généralement jugées satisfaisantes par les enseignants, même si elles demeurent insuffisantes au regard du retard pris dans les programmes.
Selon les enseignants, les abandons scolaires n’ont pas été visiblement supérieurs suite à la fermeture des classes. Les élèves sont revenus à la réouverture. Mais c’est plutôt les retards pris dans le programme et les lacunes accumulées qui posent problème ; ce qu’ils ont tenté de résoudre par les cours de rattrapage.
Ces résultats sont confirmés par les statistiques fournies par les IEF et IA qui montrent que les abandons scolaires restent de niveau modeste et stable en dépit de la fermeture des classes.
L’analyse qualitative de la situation au niveau des familles est très éclairante pour comprendre ces résultats. La fermeture des classes a signifié pour les familles la présence des enfants dans les maisons ainsi que le retour des élèves et étudiants au village. Ceci a entraîné une charge économique et domestique plus importante, et une augmentation des tensions familiales.
Le dispositif d’apprentissage à la maison s’est avéré inadapté aux réalités socio-économiques des villages (manque d’électricité, manque d’information, pas de supports papiers).
Les adultes non scolarisés se sont trouvés en peine pour assister les élèves. Ils les ont néanmoins encouragés à s’adonner aux révisions, ou à suivre certains cours dispensés à la radio. La réouverture des classes a été un grand soulagement et les parents qui scolarisent leurs enfants les ont largement poussés à la reprise. Les attentes envers la scolarisation comme moyen d’ascension économique sont très fortes. De plus, la reprise des cours a permis le retour à la tranquillité des cours des maisons et la reprise plus libre des activités économiques.
Du coté des élèves, les propos recueillis témoignent de modifications dans les pratiques de travail à la maison et peut-être d’une plus grande autonomisation.
En conclusion, cette étude conduit, par son faisceau de résultats, à infirmer l’hypothèse d’une augmentation des abandons scolaires suite à la fermeture des classes.
Néanmoins les enjeux restent importants : enjeux en termes de niveau scolaire (liés au retards et lacunes accumulées) ; enjeux économiques (liés à la baisse des revenus) ; enjeux sociaux (attentes fortes de débouchés via la scolarisation).